Patrick, se sentant découvert, ne pouvait plus reculer.
–
Non, tout va bien mais je voudrais te demander quelque chose.
Evelyne
le regarda fixement. Que voulait-il ? Un service ? Il n’y avait pas
lieu de craindre sa réponse. Elle accepterait sans hésiter. Elle adorerait lui
rendre service.
– …
ensemble ? …Tu ne m’as pas écouté ?
–
Heu, si. Mais je n’ai pas tout compris.
–
C’est pourtant simple : vivre ensemble ! Je te demande si tu voudrais
que nous vivions ensemble.
Evelyne
fut surprise. Elle était loin de cela. Elle n’y avait jamais pensé. Elle
s’était installée confortablement dans cette relation qui complétait sa vie, la
profession d’une part, le cœur de l’autre. Pourtant, quand elle y avait réfléchi,
durant ses rares moments d’inaction, elle avait bien dû admettre qu’elle serait
vraiment triste s’ils devaient se séparer. Patrick avait pris une place plus importante
qu’elle ne l’aurait cru dans son esprit. Cette demande méritait réflexion.
–
Écoute… Tu me prends au dépourvu… Jusqu’à aujourd’hui, je suivais mon bonhomme
de chemin sans me poser de question. Je me sens bien. Mais c’est vrai, si je
suis honnête avec moi-même, je dois dire que je me sens encore mieux ces
derniers temps, c’est à dire en fait, depuis que je te connais…
– A
la bonne heure ! Alors, c’est oui ?
–
Ecoute, je ne sais pas. Il faut que je réfléchisse. »
–
OK, OK. Je ne te bouscule pas. Nous en reparlerons dans quelques temps. »
Au
travail, elle se fit des copines. Il y eut Catherine la comptable, puis Chantal
l’assistante du DG et Jacqueline la maquettiste. Cette complicité l’aida à
s’opposer aux attaques perfides de Régis Valdeau. En particulier le jour où il « oublia »
de l’avertir de la décision du DG d’avancer de deux jours la présentation du
nouveau projet car leur client principal était de passage plus tôt que prévu. Heureusement,
un soir, en se rendant toutes les trois à l’arrêt du bus, Chantal commença à
rouspéter à propos de la pression engendrée par l’urgence du dossier « Le
réveil musical ».
–
Pourquoi, l’urgence ? s’informa Evelyne.
– Eh
bien parce que je me croyais en avance. Résultat, le patron veut tout sur son
bureau deux jours plus tôt !
–
Mais, je ne suis pas au courant !
–
Comment, Valdeau ne t’as rien dit ? C’est ton patron pourtant.
–
Non, je ne sais rien. Mais pas de panique : j’ai pratiquement terminé pour
ce qui me concerne. Pourtant, heureusement qu’on en parle, les copines ! Je
vais m’organiser pour donner la priorité à ce dossier-là, ça m’évitera de
passer la nuit au bureau pour peaufiner les derniers détails. Car j’imagine que ce pourri de Valdeau me
l’aurait dit quand même, mais assez tard pour que ça me perturbe. Je ne sais
pas ce que je lui ai fait à celui-là, mais il ne rate pas une occasion de me
nuire.
– On
prétend en coulisse que tu aurais obtenu le poste qu’il convoitait pour son
neveu. Tu sais, celui qui arrive toujours le premier aux réunions. C’est un bon
professionnel, mais il manque d’un petit quelque chose que tu dois avoir si le
boss t’a choisie toi.
En
arrivant chez elle, encore effarée de la malveillance de Valdeau, Evelyne
releva machinalement son courrier. Il n’y avait qu’une enveloppe. Elle ne
regarda même pas d’où elle venait. Ce fut seulement lorsqu’elle fut débarrassée
de ses clés, de son sac et de son manteau qu’elle l’ouvrit. Elle n’avait pas
remarqué l’écriture de Patrick sur l’enveloppe, qu'elle ne connaissait pas, mais la signature, au bas de la missive, ne laissait
aucun doute. Pourquoi lui écrivait-il ? Ils s’étaient vus la veille encore
à midi. Ils devaient se retrouver dimanche. Elle lut :
« Chère Évelyne,
Tu dois être surprise de cette missive.
Mais dans certains cas, un peu de solennité s’impose. Ainsi donc, je souhaite
t’inviter dès à présent à passer deux semaines durant les congés d’été avec
moi, sur la destination que nous choisirons ensemble.
J’ai cru comprendre que tu n’étais pas
prête à partager complètement ta vie avec moi et j’ai pensé à cette solution
intermédiaire. Elle nous permettra de mieux nous connaître au quotidien sur une
courte période.
Donne-moi ta réponse dimanche.
Je suis impatient de te retrouver…
Evelyne
resta pensive un moment. En lisant les mots de Patrick, elle en avait oublié la
méchanceté de Valdeau. Elle prit alors conscience de l’influence que Patrick
avait sur elle. D’une part, elle sentait l’étau sentimental se resserrer sur
son cœur de jeune fille indépendante et
d’autre part, bizarrement, cela lui convenait totalement. Bien sûr, elle
accepterait son invitation. Où pourraient-ils passer leurs vacances ?
Evelyne
se mit à chantonner en préparant son dîner. Demain serait un autre jour qu’elle
débuterait tôt afin de travailler sur le dossier « Le réveil
musical » et on verrait ce qu’on verrait !
Ce jeudi soir, Evelyne
croisa Régis Valdeau en sortant de l’ascenseur.
— Ah !
Evelyne, je vous cherchais.
– Je
n’ai pas quitté mon bureau, monsieur.
– Je
sais, je sais. J’ai été très occupé toute cette semaine. Je n’ai pas eu le
temps de vous informer. Le patron demande que le dossier « Le réveil
musical » soit bouclé lundi. Le client arrive mercredi au lieu de
vendredi.
–
C’est aimable de m’avertir. A propos, je voulais vous demander l’autorisation
de sortir une heure en avance vendredi soir car je devrai prendre un train plus
tôt que je ne pensais.
– Je
n’ai aucune objection sous réserve que vous ayez terminé votre partie du
dossier. Je le veux sur mon bureau avant votre départ.
– Il
n’y a aucun problème à ce sujet : je viens de passer chez votre secrétaire
pour le lui remettre justement. J’ai légèrement décalé mes autres dossiers pour
achever celui-ci. Bonne soirée, monsieur.
Imaginez
la tête du petit chef ! Bouche bée, yeux ronds, mains crispées sur son
revers de veste, devant l’ascenseur qui venait de se refermer.
J’en
souris moi-même en vous le racontant.
Le
vendredi soir, Évelyne ferma la porte de son bureau et quitta son travail d’un
pas léger. Elle devait retrouver Patrick sur le quai, juste devant le train.
Aujourd’hui, il n’était pas question de le prendre en marche.